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L'univers est anti-impérialiste

La réalité d'une civilisation galactique ressemble davantage à celle des premiers groupes humains de nomades chasseurs-cueilleurs que celle des empires coloniaux de la fin du 19e siècle. C'est un monde riche, vaste, inépuisable et surtout ingouvernable.

Pourquoi les aliens sont probablement déjà en route est le titre approximativement traduit par mes soins d’une vidéo intéressante de Kurzgesagt, le très suivi studio d’animation munichois aux vidéos pédagogiques extrêmement bien produites. Leurs spécialités étant le storytelling et la science, il n’est pas rare qu’ils abordent des sujets qui débordent grandement sur le territoire de la science-fiction et de la politique, qui sont deux sujets que j’apprécie particulièrement.

Selon Kurzgesagt, notre galaxie serait susceptible d’entrer dans une ère où de multiples espèces conscientes colonisent progressivement les étoiles pour fonder des empires galactiques dont les frontières ne tarderaient pas à se toucher. Il est donc urgent pour toute civilisation qui souhaite être un acteur conséquent de la politique galactique - lisez entre les lignes - de s’étendre le plus rapidement possible, au risque d’être soi-même bloqué par l’expansion des autres.

Selon ce constat digne de Bismarck ou Churchill, il apparaît alors quasi-suicidaire de ne pas s’étendre. Difficile de pas voir dans cette thèse les traces d’une certaine vision du monde impérialiste, productiviste et technologiste. Mais cela est-il nécessairement un problème ? Peut-être que la réalité est impérialiste.

Tout ce cheminement est - selon moi - basé sur des faux présupposés avec évidemment son lot de projections biaisés et de raisonnement fallacieux. Voyons ça de plus près.

Un point bleu pâle

La galaxie qui est la nôtre contient entre 200 et 400 milliards d’étoiles. Quand on évoque un nombre pareil, on a très envie de se lancer dans des hyperboles et des envolées lyriques, que je vais ici épargner.

On va commencer par un constat naïf, mais néanmoins facile à comprendre : il y a de la place pour tout le monde. La réalité d’une civilisation galactique ressemble davantage à celle des premiers groupes humains de nomades chasseurs-cueilleurs que celle des empires coloniaux de la fin du 19e siècle. C’est un monde riche, vaste, inépuisable et surtout ingouvernable.

A l’apogée de sa puissance, il fallait un mois à un coursier romain pour transporter un message du siège impérial jusqu’aux limites de l’empire et un mois supplémentaire pour que les nouvelles des frontières arrivent jusqu’aux oreilles de l’empereur. Même en partant du principe qu’on arrive pas déjà aux limites de ce qui est tenable pour un empire sans une autonomie locale conséquente ou une bureaucratie tentaculaire, considérez maintenant la vitesse de la lumière et l’échelle galactique

Dans des circonstances idéales, nous n’aurions de nouvelles de la colonie humaine à Proxima Centauri qu’après 4,2 années d’angoissante attente. Il faut se rappeler que cette étoile est la plus proche du cœur impérial hypothétique, la plus simple à administrer. Entre le moment où un rapport est émis et une décision effectuée, c’est pratiquement une décennie qui s’est écoulée.

En une génération seulement, on peut facilement imaginer à quel point la réalité de la Terre semblerait lointaine pour les colons de Proxima. Quelle légitimité aurait ce gouvernement pour la génération d’après ainsi que la suivante ? Quels moyens de pressions la Terre disposerait-elle pour s’assurer de leur loyauté ? Même si la Terre menaçait d’utiliser la violence, Proxima aurait bien assez de temps pour préparer une réponse.

Même le fanatisme nationaliste ou un endoctrinement religieux savamment orchestré ne suffirait probablement pas à empêcher la dérive idéologique inévitable qui apparaît suite à un isolement prolongé. En seulement quelques siècles, l’autonomie politique et culturel quasi-total de Proxima paraît inévitable. Les affaires Terriennes font notes de bas de pages.

L’expansion interstellaire n’est donc pas à comprendre comme un processus impérial de colonisation comme celui de l’Amérique en 1492, mais comme celui d’un pissenlit qui disperse ses graines aux 4 vents. On se crée des égaux, pas des vassaux. Cette entreprise ne peut que reposer sur le plaisir, l’altruisme et la coopération volontaire. Comment justifier autrement de dépenser des ressources si colossales sans y retrouver le moindre retour sur investissement ? De là à dire qu’une civilisation galactique ne peut être qu’utopique - pour ne pas dire communiste - il n’y a qu’un pas.

Fully Automated Luxury Queer Space Anarchism

Nous avons parlé de politique intérieure et de l’oxymore que représente le concept d’empire galactique. Mais admettons quelques instants qu’on s’en branle de la vitesse de la lumière et des limites administratives et parlons lebensraum, ce qui détermine l’espace vital d’une civilisation galactique.

Un système solaire est majoritairement composé de vide. Dans les siècles à venir, si l’Humanité se décide à devenir une civilisation interplanétaire, elle deviendra rapidement capable de construire des habitats artificiels, des sphères de Bernal. Quand on commence à arriver sur le terrain de la mégaingénierie, on se rend compte que le territoire ça se construit et que le facteur limitant n’est pas la place, mais les ressources. Parlons des ressources.

En fait non, ne parlons pas des ressources. Je ne vais pas me livrer à une analyse qui passerait en revue la masse totale de la ceinture d’astéroïde et le nombre de satellites, avant-postes, habitats, astronefs, qu’on pourrait fabriquer avec. Je vais plutôt vous encourager à essayer d’envisager un seul instant tous les paradis magnifiques, toutes les utopies monumentales, portant des milliards de vies, durant des millions de cycles, durant des milliers de générations, que la seule puissance du soleil et la simple matière de la Ceinture pourrait soutenir. Il y a bien assez de place pour une civilisation entière et plusieurs d’autres dans un seul système solaire.

Ce qu’il faut retenir c’est que d’ici que l’on approche des limites de ce que notre système solaire peut supporter - ce que les geeks appellent civilisation de type 2 sur l’échelle de Kardachev - nos problèmes seront vastement différents.

Quand je dis que nos problèmes seront différents, je ne dis pas qu’on peut simplement balayer le sujet du bras. J’entends par là que plutôt du paradigme “ressource brut -> ressource raffinée -> produit transformé” sur lequel est fondée notre vision techno-industriel, on se trouverait davantage dans un paradigme “produit transformé -> produit transformé” (cette fameuse notion futuriste de “recyclage”). Les ingénieurs du futur lointain seront comme des potiers ou des alchimistes cosmiques qui transforment et altèrent la matière à la demande, selon les besoins.

Quoi qu’il en soit, ce que j’essaie d’expliquer, c’est que l’avenir à long terme pour une civilisation intelligente est probablement plus “haut” qu’il est “large” - termes empruntés aux jeux 4X. C’est-à-dire que rationnellement, plutôt que dans l’expansion territoriale, le futur se trouve plutôt dans le développement des infrastructures et la valorisation des ressources que l’on possède déjà.

De ce point de vue là, il semble bien que la stratégie gagnante du jeu politique intergalactique se trouve dans la compréhension et l’harmonie avec son environnement, la capacité à s’adapter et transformer, à glisser autour des règles de la physique et de la biologie de la même façon qu’un saumon remonte une rivière.

Tout ce que nous ne pourrions jamais désirer se trouve déjà à portée de mains - autour du Soleil. Plutôt que de réfléchir comment obtenir davantage, il faudrait savoir ce que l’on veut en faire.

Adressons également l’éléphant dans la pièce en ce qui concerne les clichés de science-fiction. Tout ce qui peut être trouvé dans le système solaire peut être trouvé ailleurs. L’univers est monotone et les ressources ont été dispersés à peu près équitablement au gré des supernovas. Il n’y a rien qu’Empire A possède qu’Empire B pourrait convoiter.

Pax Astartes

Bon très bien. Vous ne vous sentez pas convaincu. Vous tremblez sur votre chaise, vous faites des cauchemars la nuit, vous avez déjà donné tout votre argent à Elon Musk et Bill Gates, car il faut vite que l’Humanité s’étende sinon on va se retrouver à parler klingon ou devenir un état tampon entre deux hégémonies interstellaires. Vous craignez d’être en infériorité. Vous craignez la menace existentielle d’un petit empire limitrophe d’un voisin ambitieux.

Si vous avez peur de la guerre ou de l’invasion, oubliez les vaisseaux et les troupes. La mort distribuée à l’échelle galactique se livre par le biais de projectiles lancés à des vitesses relativistes dans des trajectoires qui mettent plusieurs décennies à atteindre leur cible, ce qui laisse amplement le temps de répondre.

La vitesse de la lumière est le grand égaliseur. Toutes les civilisations capables de lancer des projectiles d’une étoile vers une autre repose sur un pied d’égalité, possède le même potentiel de mort. Il est impossible d’arrêter un tel objet. Aucun blindage, aucune contremesure, aucun intercepteur ne peut être vraisemblablement imaginé.

Le moindre conflit intergalactique est un conflit affreusement, terriblement, monstrueusement coûteux. C’est la destruction mutuelle assurée dans des proportions qui dépassent largement nos bonnes vieilles guerres thermonucléaires globales. Dans la politique intergalactique, tout le monde a le potentiel d’exterminer l’autre et tout le monde a le potentiel d’emporter les autres dans sa chute, peu importe sa taille ou ses valeurs militaristes.

On peut rétorquer que l’arme nucléaire n’a pas mis fin aux guerres. C’est vrai. Mais souvenez-vous de tout ce qui a été établi jusqu’à présent dans ce texte. Le coût d’un conflit intergalactique pour une civilisation de la même échelle ne sera jamais couvert par la valeur potentielle du territoire conquis. Il sera assurément toujours moins coûteux de développer l’espace existant ou coloniser une étoile inoccupée.

Conclusion

Mon point de vue est probablement tout aussi biaisé et orienté idéologiquement que la vidéo à laquelle j’ai fais ce reproche. Mais mon ambition ici est surtout de proposer une autre vision de l’avenir lointain, un autre horizon à imaginer.

Plutôt qu’une redite de l’histoire humaine, je me plais à imaginer que le futur intergalactique est un futur de prospérité et de diversité. Les humains partent coloniser des mondes pour le plaisir. Une infinité de concepts sont inventées, tout autant de projets de sociétés sont mis en pratique, critiqués, révolutionnés. Une infinité de mondes, d’histoires, de civilisations, de possibles.

Et si par chance, nous croisons une autre grappe de civilisations, la dynamique n’en serait que plus grande. Impossible bien entendu d’imaginer quelles seraient leurs valeurs, leurs processus cognitifs, s’ils nous ressemblent ou pas. Mais ce qui est certain, c’est que partout, les règles de l’univers sont les mêmes.

Ce que disent les règles de l’univers, c’est que les civilisations galactiques ne peuvent être que pacifistes et égalitaires. Pas parce que c’est ce que la morale nous dicte, mais parce que les contraintes de l’expansion font que les seules espèces assez bêtes pour se livrer à un tel projet ne peut le faire que parce que c’est divertissant.


Publié le 12/04/2023
Dernière modification le 26/09/2023

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