Vibrations extatiques
La musique n'a de valeur artistique qu'à travers le mouvement dans lequel elle s'inscrit, littéralement et métaphoriquement, l'énergie qu'elle génÚre et le lien qu'elle crée entre les vivants.
Jâadore la musique. Je trouve que câest une forme dâart un peu Ă part, unique. Que câest vraiment quelque chose de spĂ©cial. Jâai pas souvenir dâavoir dĂ©jĂ Ă©tĂ© particuliĂšrement touchĂ© par une image seule, alors que le son, câest comme un caillou qui ricoche sur la mare de mon esprit. Ăa me fait voir le monde autrement.
La musique, câest un peu difficile Ă cerner. Câest Ă la fois une discipline artistique, mais extrĂȘmement codifiĂ©e, presque scientifique. Câest quelque chose de banal, qui fait partie du quotidien, mais en mĂȘme temps, il y a une part de spirituel dans la façon que ça dâaltĂ©rer notre expĂ©rience du monde.
Ceci dit, je crois que la seule maniĂšre de rĂ©ellement comprendre ce que câest, câest encore de parler du son. Câest facile dâoublier que le son est un phĂ©nomĂšne physique, un truc solide quâon peut toucher, ce qui est dâailleurs la fonction de nos tympans. Le son, câest une onde qui circule Ă travers la matiĂšre. Câest une expression du mouvement.
Aujourdâhui, quand on pense Ă la musique, on pense Ă un objet. Un fichier mp3, un CD, un vinyl. Mais pendant les dizaines de millĂ©naires qui ont prĂ©cĂ©dĂ© lâinvention de lâenregistrement, la musique, câĂ©tait une activitĂ©. On ne pouvait quâexpĂ©rimenter la musique, collectivement ou avec soi-mĂȘme.
Ă lâimage du son lui-mĂȘme, la musique a toujours Ă©tĂ© une façon dâexprimer le mouvement. Le mouvement physique, pour rythmer la marche ou la danse, mais aussi le mouvement mĂ©taphorique, celui de la vie ou du divin, lors de processions rituelles ou de fĂȘtes. Câest un mouvement intĂ©rieur, mystique, quâon a libĂ©rĂ©, auquel on a donnĂ© un corps pour quâil dĂ©veloppe sa propre autonomie.
Comme une sorte de Dieu, ce mouvement devenu conscient gagne en puissance au fur et Ă mesure quâil est honorĂ© par ses serviteurs. En retour, il leur donne de la force, leur prĂ©sente sa vĂ©ritĂ©. Il nây a pas dâexemple plus clair pour expliquer ce quâest la musique que celui des tambours de guerre.
DâAfrique de lâOuest jusquâen Inde, les combattants ont trĂšs tĂŽt compris lâintĂ©rĂȘt de la musique au service de la guerre. Les tambours donnent du corps Ă un mouvement - celui des soldats vers le combat. Il fixe la cadence et bat au rythme de la bataille. Il inspire le courage chez les siens et la terreur chez ses ennemis. Câest un tĂ©moignage de lâimportance concrĂšte de lâesthĂ©tique.
Mais si vous trouvez cet exemple trop glauque, on peut aussi parler des rave party. Ces grands moments dâextases sâarticulants autour dâun sound system, qui tiennent pas mal du rituel de communion, dans la façon dont les gens se fondent dans le collectif, sâabandonnent Ă la musique, pour mieux se connecter aux autres et avec la Terre.
Sans rien vous apprendre, lâenregistrement a Ă©tĂ© pour la musique une rĂ©volution. Si la musique est un moment vĂ©cu, alors la musique enregistrĂ©e dont on va parler maintenant, la musique en tant quâobjet, ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© autrement que comme un souvenir de ce moment.
Exactement comme une photo de vacances quâon regarde dans lâespoir de retrouver un fragment de ce quâon a ressenti ce jour-lĂ , on Ă©coute une musique dans une tentative de capter une trace du mouvement dont lâenregistrement est le tĂ©moignage pour continuer Ă le faire vivre Ă travers nous.
Mais comme tout mouvement est Ă©phĂ©mĂšre et sâinscrit dans une Ă©poque, la plupart du temps, on ne fait que danser sur le cadavre froid et maintes fois piĂ©tinĂ© du moment de rĂ©alitĂ© que ça a pu ĂȘtre, en compagnie des spectres du passĂ©, pour le plus grand bonheur des marchands de lâindustrie de la nostalgie.
La musique nâa de valeur artistique quâĂ travers le mouvement dans lequel elle sâinscrit, littĂ©ralement et mĂ©taphoriquement, lâĂ©nergie quâelle gĂ©nĂšre et le lien quâelle crĂ©e entre les vivants. Câest pour ça quâil faut pratiquer la musique avec ses amis, se rendre aux concerts, danser avec les gens.
Il nây a pas de mal Ă sâambiancer tout seul dans sa chambre sur de la vieille musique. Mais jâai lâimpression que trop souvent, on a tendance Ă vivre Ă travers le passĂ©, comme une personne qui passerait ses journĂ©es Ă ressasser ses souvenirs plutĂŽt quâĂ aller en crĂ©er de nouveaux. Je pense quâil faut toujours avoir en tĂȘte la fonction premiĂšre de la musique, celle dâincarner le mouvement, celle dâĂȘtre le corps du moment vĂ©cu.
HARDCORE HARDCORE HARDCORE TO THE MEGA
LâAlgorave se constitue de âsons entiĂšrement ou principalement caractĂ©risĂ©s par lâĂ©mission dâune succession de conditionnels rĂ©pĂ©titifsâ. De nos jours, la quasi-totalitĂ© de la musique Ă©lectronique est rĂ©alisĂ©e Ă lâaide de logiciels, mais avec des barriĂšres artificielles entre les personnes qui crĂ©ent les algorithmes des logiciels et celles qui font la musique. Lâutilisation de systĂšmes conçus pour la crĂ©ation de musique et de visuels algorithmiques, tels que IXI Lang, puredata, Max/MSP, SuperCollider, Extempore, Fluxus, TidalCycles, Gibber, Sonic Pi, FoxDot et Cyril (ndt: le texte est un peu vieux, certains de ces outils ne sont plus utilisĂ©s aujourdâhui, jâai mis en avant ceux qui ont une communautĂ© active et que jâai utilisĂ© personellement) permet de briser ces barriĂšres et aux musiciens de composer et travailler en direct avec leur musique sous forme dâalgorithmes. Cela a des bons et des mauvais cĂŽtĂ©s, mais une approche diffĂ©rente conduit Ă des rĂ©sultats intĂ©ressants.
LâidĂ©e nâest pas nouvelle, mais les Algoraves se concentrent sur des humains qui font de la musique et dansent dessus. Les musiciens dâAlgorave ne prĂ©tendent pas que leur logiciel est crĂ©atif, ils assument la responsabilitĂ© de la musique quâils font, en la façonnant par tous les moyens dont ils disposent. Plus important encore, lâaccent nâest pas mis sur ce que fait le musicien, mais sur la musique et les gens qui dansent dessus. Les Algoraves reprennent les sons Ă©tranges des raves du passĂ© et introduisent des rythmes et des pulsations futuristes fabriquĂ©s grĂące Ă dâĂ©tranges processus assistĂ©s par des algorithmes. Câest aux gens sympathiques sur la piste de danse dâaider les musiciens Ă donner du sens Ă tout cela et faire le vrai travail crĂ©atif pour faire de tout ça une fĂȘte qui dĂ©chire.
Traduction - original
Publication originale : 2023-11-14 (sous le nom "Les tambours de guerre")