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Publié le 21/09/2023

Dernière modification le 26/09/2023

Le jeu vidéo n'est pas un art

L'acte de jouer est un processus de création qui amène à chercher du sens, qui révèle quelque chose de nous, qui nous fait ressentir une émotion esthétique.

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Se demander si le jeu vidéo est un art, c’est un peu passé de mode. La question semble déjà être réglé depuis maintenant quelques années. Le jeu vidéo a ses artistes, ses codes, ses cérémonies, son histoire, ses classiques cultes, son avant-garde et son industrie qui malgré tout se porte bien, en tout cas mieux que les autres. On ne l’accuse plus d’abrutir les masses ou d’inspirer des terroristes. Bref, tout va bien. Nous, gamers, ne sommes plus la minorité la plus opprimée : on a gagné la bataille de la légitimité culturelle.

On voulait que le jeu vidéo soit considéré comme un art parce qu’il fallait justifier les milliers d’heures passés devant l’écran et les débats interminables par forum et messageries interposés. On voulait que notre passion soit reconnue. Mais c’est terminé maintenant. Le jeu vidéo à réussi à s’imposer comme un produit de consommation parmi d’autres de l’industrie du divertissement. Il n’y a, apparemment, plus rien à prouver, alors qu’est ce qu’il nous reste à gagner ? Qu’est ce que cette question pourrait bien changer pour les joueurs ? Pour parler de ça… il va falloir déjà commencer par définir les termes.

La plupart des gens aiment penser l’art comme quelque chose d’assez abstrait, qui n’a pas vraiment de définition. Quelque chose de subjectif finalement, qui est surtout l’affaire de quelques gros riches qui se branlent sur des taches de peinture ou des bananes scotchées aux murs. Pourtant, l’art, en tout cas dans le domaine de la philosophie, c’est quelque chose d’assez précis en fait. Que ce soit la recherche de la vérité, du beau ou du divin, l’art est une performance, une activité à laquelle les humains se livrent, qui n’est pas une fin en soi mais qui a bel est bien un objectif défini. Cet objectif, c’est cette petite étincelle de magie capable de nous toucher, de changer notre vision du monde, ce petit moment de réalité qui s’impose à nous comme un sentiment de déjà vu.


Aujourd’hui, la majeure partie de la culture est distribuée sous la forme d’objets de consommation. Les gens qui produisent ces marchandises essaient généralement de faire tourner leur business, ou en tout cas au moins d’en vivre, et ça, bah ça conditionne forcément la façon dont ils créent. Le problème, c’est que cette recherche de rentabilité entre très souvent en conflit avec la nature même du processus artistique. La vérité, le beau ou le divin, ce n’est pas la solution de facilité. Ça demande du temps, de l’argent et ce n’est pas toujours ce que les autres ont envie d’entendre. Dans un contexte où la vie de travailleurs en dépend, ça s’appelle du risque. Les créateurs - qui ont faim donc, on le rappelle - vont très souvent accoucher de produits de consommation dont la dimension artistique ne pourra être appréciée, au mieux, que sous une forme dégradée.

Donc en fait ce qui est important, c’est de savoir faire la différence entre l’art et le produit de consommation - parce qu’il y en a un qui veut votre bien et qui vous donne du pouvoir, et l’autre qui veut juste vous mettre dans une position de consommateur passif. Bon, les choses ne sont pas si claires en général et dans la réalité tout processus artistique est un compromis - mais surtout dans le capitalisme - donc il faut plus voir ça comme un genre de spectre, des tendances qu’on peut identifier. Quand on se demande si le jeu vidéo est un art, on se demande en réalité si le jeu vidéo est capable d’être autre chose qu’un produit de consommation.

Beaucoup de gens seraient d’accord pour dire que la plupart des jeux sont juste des divertissements sans prétention. Mais ça paraît bête de vouloir mettre tout les jeux vidéos dans le même panier. Est-ce qu’on peut vraiment parler d’un jeu vidéo quand il y a des jeux vidéos ? Depuis le début du siècle, on voit arriver de plus en plus de jeux à vocation artistique. Qu’on parle de jeux indépendants ou de jeux d’auteurs, il semble clair qu’on peut tracer une ligne dans le sable. Il y a un jeu vidéo artistique et un jeu vidéo qui ne l’est pas.

Mais soyons honnêtes deux minutes, qu’est-ce qui les différencie vraiment ? Si on demande à quelqu’un de nous dire ce qui fait un jeu artistique, il va probablement parler graphismes, musique, écriture ou mise en scène. C’est la vision partagée par l’industrie, qui met en avant tout ces aspects dans sa communication. Mais c’est là que se trouvent les limites du jeu artistique. Le jeu artistique contient de l’esthétique, mais il n’est pas esthétique de par sa qualité de jeu. Ce n’est pas le jeu qui nous fait ressentir des émotions, mais sa musique, son texte, ses images et la façon dont tout ça est présenté. Le jeu vidéo dit “artistique” l’est par ses ornements, son décor, mais dans le fond, il reste, lui aussi, un simple divertissement. On a trouvé de l’art dans le jeu vidéo, mais on cherche encore du jeu vidéo dans l’art.


Les jeux qui ont le plus marqué l’histoire du jeu vidéo ne sont pas des jeux artistiques. Doom, Quake, Half-life, Minecraft ou Fortnite ont tous été à leur manière des révolutions pour le média, mais ce n’est pas leur seul point commun. Ils ont aussi chacun cette particularité de ne pas être un jeu, mais des jeux.

Dans le sillage de chacun d’entre eux, on retrouve la créativité débordante de leur communauté qui se sont appropriés le jeu lui même et les outils qui lui sont propres pour devenir quelque chose que leurs propres créateurs ne pouvaient pas anticiper - ce qui est tout à fait naturel - en faisant parfois des succès planétaires. Tous les jeux vidéos, parce que c’est comme ça que ça fonctionne, donnent au joueur des outils, des moyens d’interaction. Et c’est au joueur d’apprendre à manipuler ses outils pour atteindre un certain objectif.

En général, cet objectif s’impose de lui-même. Le joueur veut gagner la partie, aller au bout du niveau, vaincre ses ennemis. Le rôle du game designer, la plupart du temps, consiste à manipuler le joueur de façon à ce qu’il ait bien en tête l’objectif qui a été prévu à la base afin de construire chez lui l’expérience désirée par les développeurs. Mais qu’est-ce qu’il se passe quand l’objectif du joueur est différent de celui prévu par le jeu ?

À ce moment-là, à l’issue d’un processus créatif parfois inconscient de la part du joueur, le jeu devient un nouveau jeu. Combien de joueurs ont décidé de jouer à cache-cache au lieu de se tirer dessus ? Combien de joueurs ont décidé qu’ils avaient mieux à faire que suivre la quête principale dans un jeu de rôle ? Parfois, les développeurs anticipent ce processus et fournissent des outils de création. Le reste du temps, les joueurs s’organisent eux-même ou créent leurs propres outils. C’est comme ça que sont nées des communautés transversales à tout le média comme celles du modding, du speedrun ou du superplay.


Le jeu vidéo est une activité qui, contrairement à presque tous les autres médias culturels, se pratique activement. Le joueur participe d’une certaine façon à l’expérience qui est en train de lui être présentée. Il est le réalisateur de son propre film, l’auteur de sa propre histoire, le compositeur d’une symphonie qui lui est dédiée.

Le jeu vidéo n’est jamais autant à son avantage que quand il laisse libre cours à l’imagination du joueur et stimule sa créativité. Le succès des jeux de rôle, des jeux en monde ouvert, des jeux massivement multijoueurs et des jeux qui fournissent les outils nécessaires pour le transformer en est la preuve la plus flagrante. Je pense que ce n’est pas un hasard si Youtube et Twitch ont explosé d’abord grâce au jeu vidéo : il faut voir le jeu comme un outil, une plateforme sur laquelle le joueur peut construire son propre divertissement, son propre narratif.

La première question que se pose chaque joueur quand il lance un nouveau jeu, c’est : “Qu’est ce que je dois faire ?“. Tous les joueurs renferment en eux cette étincelle qui les amène à chercher des secrets, à poursuivre leurs propres buts, à s’approprier les outils et le décor qu’on a généreusement crées pour eux. Apprendre les codes, les maîtriser puis changer les règles. Ni plus ni moins qu’une démarche artistique.

Le jeu vidéo n’est pas un art. C’est un outil qui sert à créer de l’art. Un art pur et introspectif. L’acte de jouer est un processus de création qui amène à chercher du sens, qui révèle quelque chose de nous, qui nous fait ressentir une émotion esthétique. Le jeu vidéo fait de tout le monde un artiste, c’est-à-dire quelqu’un qui cherche la vérité.


VOUS - Mais… est-ce que j’ai ma place dans le monde de l’art ?

CONCEPTUALISATION - Tu t’es regardé dans la glace, dernièrement ? Tu possèdes les traits d’un farouche critique d’art, débraillé et prophétique. Il n’y a qu’à observer ta barbe et tes fringues pour s’en convaincre ! Il ne te reste plus qu’à critiquer l’architecture !

VOUS - Pas si vite, l’architecture est aussi une forme d’art ?

CONCEPTUALISATION - Bien sûr que non. C’est une forme d’autisme. Du dessin en pointillé. De la branlette avec une règle, un sextant ou que sais-je encore… N’hésite pas à étriller le petit monde de l’architecture, et à exalter les vertus de l’art authentique.


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